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L'Histoire de Grand Canal
- texte contributif in progress, coordonné par Patrik Prado



L’art vidéo est né, en France, au milieu des années ’70 et a commencé à s’organiser au début des ’80, même si l’utilisation des machines vidéo a commencé bien avant, dès 1968-69. Quant aux ordinateurs, ils ont commencé à tourner pour la musique expérimentale bien avant cette date. Dès les années 1950, les premières « pièces pour ordinateur » sont composées dans les ateliers de Pierre Schaeffer au GRM (Groupe de recherches musicales) au sein de l’ORTF.
Enfin, l' Université de Vincennes (d’un type très particulier il est vrai) a été à l’avant-garde avec la création en 1969 d’une option «art et informatique» (Hervé Huitric en est un des fondateurs).

Il se pourrait bien que la première image vidéo tournée en France l’ait été par l’un membre des équipes Iskra de Chris Marker et Slon d’Inger Servolin : une femme à sa fenêtre. Elle fut tournée avec un magnétoscope à bande lente en bobine, dite ‘ancienne norme’, avant la NN dite ‘nouvelle norme’. Nous avons vu cette image. Elle est de Paul Bourron. Il revenait de New York avec un Portapak. Époque formidable, effervescente. On filmait la femme aimée et Loin du Vietnam. Les groupes Medvedkine suivaient les grèves ouvrières, Paul Bourron les Scènes de grève en Vendée (1973).
Revoir leurs films

Les années 1975-1995 sont la grande double décennie de l’art vidéo français en général et de Grand Canal en particulier. Mais les pionniers sont là dès 1973 avec B. Parmeggiani (L’œil écoute, 1973), R. Cahen, L’Invitation au voyage, 1974), P-A. Gette, (Botaniques, 1974), M. Raysse (L’Hôtel des folles fatmas, 1974), D. Belloir et R. Verbizh (Fluides, 1974), R. Baladi (Écrire Paris avec les rues de cette ville, 1974), F. Janicot (Mon Plancher et sous mon plancher, 1974), J. Roualdes (Signal, 1974) ou N. Yalter (La Femme sans tête, 1974). Dès cette période apparaissent les catalogues collectifs ou personnels, tandis que la plupart des vidéastes commencent à chercher d’autres métiers pour vivre, en particulier comme professeurs dans les écoles d’art,

Un groupe d’artistes vidéo se constitue et s’installe d’abord au début des années 80 au 15, Passage de la Main d’Or, à Paris, entre la Bastille et l’Avenue Ledru-Rollin, non loin des ateliers de Jean Louis Le Tacon qui venait d’y créer Composite-Production, et dans les locaux de l’association Vidéo-Ciné-Troc de Pierre-Olivier Bardet qui y domicilie ses productions vidéo pour la télévision (Vidéo à la chaîne, par exemple). Jean Louis Le Tacon venait de découvrir la «paluche», caméra vidéo de Beauviala que l’on pouvait tenir à la main, reliée par un câble au magnétoscope, lui donnant une liberté de mouvement extraordinaire à cette époque. Anne Lainé était allée filmer Tuxedomoon et Indoor Life à Poitiers, concerts de l'Oreille est Hardie. Anne et Jean-Louis lancent donc Composite-Production, à la suite de PVCM2, avec le statut d'une entreprise artisanale déclarée à Quimper, Finistère, où travaillait Le Tacon. Ils lanceront les Vidéocéanes à Brest, filmeront les Musiques de traverse de Reims, le concert de Jac Berrocal à la salle Jarry à Rennes et participeront à la conception d’ Electra avec Dominique Belloir à Paris.
(voir dans le site : Expositions et Catalogues)

Ce groupe d’auteurs vidéo se rassemble dans une structure, Composite-Vidéo, qui est déclarée en juillet 1982 passage de la Main d’Or et de là, un an plus tard, la colonie émigre au 56 rue Daguerre entre le lion de Denfert Rochereau et la lionne Agnès Varda, puis chez Alain Longuet près de la faculté Censier. Enfin, en 1987 Dominique Belloir et Alain Longuet louent à la Ville de Paris, rue Geoffroy l’Asnier, au dernier étage, un petit local dans un immeuble ancien dépendant de la Cité Interrnationale des Arts, près du pont Marie.
Ce local a une histoire. Scott Macleay, directeur artistique de l’American Center qui fermait ses portes boulevard Raspail (aujourd’hui Fondation Cartier) avait parlé à Alain Longuet de la possibilité de reprendre les activités et le matériel de l’atelier vidéo du Centre américain où Alain animait jusqu’à la fermeture un atelier de vidéo-danse avec Lila Greene et Mark Tompkins. L’opération n’a finalement pas pu se faire, mais Scott Macleay met Dominique Belloir et Alain Longuet en contact avec Mme Bruno, directrice de la Cité Internationale des Arts. Ainsi fut créé le premier atelier de Grand Canal avec un banc de montage U-matic et de quoi faire les copies de diffusion de nos bandes. Alain et Dominique arriveront progressivement à coloniser la cour du 20 et à nous loger dans un, deux, puis trois ateliers de montage et de post-production où les bécanes de plus en plus sophistiquées s’entassaient, et les nuits blanches itou. C’est là que beaucoup d’entre nous sont entrés en relation avec le premier ordinateur domestique de leur vie : un Mac Classic qui fut notre première nounou, en concurrence avec Marie Mas, aujourd’hui au CNC. Nous quitterons ces lieux magiques vingt ans plus tard, le 27 septembre 2005.


C'est en 1983 que Grand Canal Vidéo fut constitué, en remplacement de Composite Vidéo, par Dominique Belloir, Anne Lainé, Hervé Nisic et Patrick Prado. Composite était le nom à la fois de la société de production de Jean-Louis Le Tacon et de l'Association de vidéastes, et cela prêtait à confusion. Chaque unité acquiert alors son autonomie et son nom propre. L'un d'entre nous revenait de Venise et, inspiré par le Rialto a proposé l'ironie de ce nom grandiose pour un tout petit canal d'images, au moment où le mot "canal" remplaçait celui de "chaîne" avec l'apparition des Canal + et autres réseaux câblés. Mais encore, le spectacle d’ Urban Sax à Venise avec 25 saxophonistes et 10 choristes menés par Gilbert Artman sur les ponts de la Sérénissime nous avait fasciné, et Marie-Ange Poyet et Bénédicte Delesalle en avaient fait une vidéo de 11 minutes en 1981. Sublime. Le catalogue rose de Composite en 1982 lancé par Jean-Louis Le Tacon devient bleu l’année suivante sous l’égide de Grand Canal.

Dans ce catalogue le mot «vidéaste», en parallèle avec cinéaste, apparaît pour la première fois en concurrence avec artiste vidéo un peu plus prétentieux, tandis que l’art vidéo et la vidéo de création démarraient concurremment leur carrière linguistique. On remarquera dans cette préface pas sérieuse que le pli du repassage vidéo était dans l'air, trois ans avant Deleuze et son pli leibnizien ("les replis de la matière et les plis dans l'âme"). C'est que les «vidéastes» venaient de tous les horizons, des philosophes, des repasseuses, des danseurs, des mécanos, des musiciens, des poètes, des photographes, des ingénieurs, autant que des plasticiens, des peintres et des designers. On le prenait en effet comme un art «en retrait», qui s’efforçait contradictoirement de ne « pas entrer dans le système » tout en assiégeant les galeries et les nouveaux «canaux» télévisuels, souvent avec succès. Mais ce fut d’abord un art en réseau, un art associatif où l’entr’aide entre tous les métiers de l’image et du son, a été essentielle, de l’INA à Canal +, du Centre Georges Pompidou qui venait d’ouvrir à la DAP, la Délégation aux arts plastiques du Ministère de la Culture, en particulier avec les exellentes professionnelles qu'étaient Marion Sauvargue, Chantal Soyer et Martine Bour, créant peu à peu et essaimant des ateliers vidéo à l’ENSAD (École Nationale des Arts décoratifs) et dans les écoles des Beaux Arts un peu partout en France ainsi que les ateliers de certaines Univesités.
Nous disions à l’époque qu’en France l’art vidéo avait été inventé par les femmes Et on théorisait cela : par exemple que les filles avaient pris les caméras vidéos Sony et portapaks parce que les mecs ne voulaient pas lâcher leurs grosses bécanes 16 et 35. Il y avait du vrai. Y compris dans la vidéo militante quand Carole Roussopoulos et Yvonne Mignot-Lefèvre filmaient les luttes féministes et ouvrières avec Video OO, Vidéo out, etc, avec les moyens du bord. Dominique Belloir lançait dès 1981 Vidéo Art Explorations dans un numéro spécial des Cahiers du Cinéma. Ce fut un peu la rampe de lancement de la vidéo en France. On y trouvera un historique de l’apparition de l’art vidéo, vidéo-performances, vidéo-sculptures, vidéo-installations en Allemagne, aux Etats-Unis et en France. Teresa Wennberg et Suzanne Nessim avaient été les premières, avec Orlan à mesurer et se mesurer aux nouveaux studios du Centre Georges Pompidou dès 1978, de même que Catherine Ikam en 1980 ou Nicole Croiset et Nil Yalter à l’ARC, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris la même année. Nous avions nos bonnes fées. Ainsi, dans ce dernier établissement, Dany Bloch fut la première à accueillir l’art vidéo de France et d’ailleurs. Que des filles, vous dit-on. Et Anne Lainé, Colette Deblé, Joëlle de la Casinière, Geneviève Hervé, Marie-Jo Lafontaine, Danielle Jaeggi, Marie-Ange Poyet, Catherine Ikam, Marie André…

Bien sûr, Duchamp et Magritte étaient nos ancêtres ; Wolf Vostell, bricoleur jamais sérieux, et Nam June Paik, le ludion au violon, étaient nos maîtres ; Dada et Fluxus nos classes maternelles ;  Beauviala, Dupouy, Colonna, Daniel Michel, inventeurs géniaux, nos ex machina. Cela dans une atmosphère moins rocky que planante avec Steve Reich et John Cage aux instruments, suivis plus tard par Kraftwerk et Métal Urbain.

Durant vingt ans, des ateliers de Grand Canal rue Geoffroy l’Asnier vont sortir des dizaines de bandes puis de DVD d’art vidéo tandis que parallèlement se crée une société de production indépendante mais liée à l’association d’auteurs, Mirage Illimité, installée rue Linné, à Paris 5°. Pendant ces années Grand Canal accueille des réalisateurs d’art vidéo dont beaucoup ont fait leurs classes à Geffroy l’Asnier, des artistes étrangers, américains comme les Wasulka, chiliens par exemple lorsque Pascal-Emmanuel Gallet du Ministère des Affaires Étrangères lance ses échanges internationaux de créateurs vidéo aux quatre coins du monde (voir ses Carnets de voyage à Florence, Santiago, Berlin, aux Pays baltes, etc.), et des jeunes apprentis pour des stages de réalisation, grâce à une convention passée avec la DAP (Délégation aux arts plastiques du Ministère de la Culture). D’autres liens s’établiront avec des personnalités passionnées par l’art vidéo comme Serge François, responsable des programmes Médicis Hors les murs, aux Affaires étrangères, qui ouvre des bourses de réalisation à des artistes dont certains travaillent à Grand Canal. Enfin un certain nombre d’écoles d’art envoient dans les ateliers des étudiants en stage dont certains par exemple présentent des extraits d’œuvres sur le grand écran vidéo de Montparnasse
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Lorsque la convention est suspendue, Grand Canal, ne pouvant subvenir aux loyers des différents ateliers de plus en plus élevés, doit mettre la clef sous la porte et se recentrer dans le quarter de jussieu.
A suivre…